Fondée en 1900, Burgundy School of Business est une Grande École d'enseignement et de recherche internationale qui a depuis longtemps mis au cœur de son expérience étudiante l’engagement citoyen et la responsabilité sociétale afin de former des managers responsables, tournés vers les autres et en recherche de solutions durables. Dr. Alexandre ASSELINEAU, Directeur du CEREN, le laboratoire de recherche de BSB, et Professeur associé en management stratégique, interviendra pendant Les Rencontres du Développement Durable lors d'une journée co-organisée avec Burgundy School of Business et intitulée « Territorialiser la transtion » qui aura lieu le 25 novembre sur le campus de Dijon.
➡️ Présentez vous et expliquez nous ce vous faites au sein de votre organisation pour faire avancer la transition ?
Je suis Alexandre Asselineau, Directeur du CEREN, le laboratoire de recherche de BSB, et Professeur associé en management stratégique.
Au niveau du CEREN, je m’efforce de mettre en avant la production scientifique des chercheurs du laboratoire portant sur les questions de DD & RSE. Notre projet scientifique collectif et notre structuration en axes de recherche sont, aujourd’hui, fortement marqués par les dimensions DD & RSE. Sans doute, l’indispensable transformation de nos sociétés est un saut dans l’inconnu qui demande beaucoup d’humilité et impose de repenser (en profondeur et avec rigueur) les conceptions, méthodes ou outils qui les ont façonnées telles qu’elles sont. Et c’est le rôle de la recherche. Au-delà, je suis convaincu que nos réflexions sur ces thèmes doivent dépasser les seuls cercles des chercheurs pour irriguer nos enseignements, et l’ensemble de la société : c’est cela qui motive notamment notre engagement auprès de l’Institut Open Diplomacy et des RDD, ce depuis le lancement de l’évènement en 2020.
En tant qu’enseignant, j’intègre depuis plusieurs années la dimension RSE au sein de l’intégralité des contenus de mes cours. Sensibiliser nos étudiants qui sont de futurs entrepreneurs, dirigeants, managers, les faire réfléchir, les doter de méthodologies et d’outils adaptés aux défis qui se présentent me semble être une manière d’apporter une contribution sociétale utile.
En tant que chercheur, je développe mes réflexions autour de la thématique du management stratégique responsable, sur deux axes principaux : quelles méthodes pour définir et accompagner dans l’action concrète des stratégies conciliant, si cela est possible, performance économique et performance environnementale et sociale ? Quelles stratégies soutenables adopter en faveur des territoires ruraux ou défavorisés ?
➡️ Comment utilisez vous les ODD pour structurer votre action et votre réflexion ?
J’utilise les ODD comme un point de référence global dans le cadre de mes enseignements. Par exemple, les étudiants peuvent se référer aux ODD lorsque nous cherchons à comprendre comment une entreprise “à mission” peut essayer de définir sa raison d’être, ou déterminer sa “vision” dans une perspective de contribution sociétale. Les ODD ont le mérite de fixer un cap et des périmètres d’actions bien balisés.
➡️ Selon vous qu’est ce qu’une planification écologique réussie pour la France et pour l’Europe ?
Une planification écologique réussie est par définition une planification qui a permis d’atteindre ou de dépasser les objectifs définis pour lutter contre le dérèglement climatique et ses effets, et qui permet donc d’envisager un avenir pour la planète et ses habitants. C’est un processus qui est bâti sur un projet de passage à l’action concrète nécessairement extrêmement ambitieux (au regard des défis à relever), qui est engagé massivement et rapidement et de façon cohérente à tous les niveaux d’actions possibles (enseignement, économie, transports, fiscalité, justice, etc.), et qui permet d’enregistrer des premiers résultats encourageants rapidement. Elle suscite l’adhésion des populations par la fixation d’un cap clair et motivant, donnant du sens, mais flexible : elle ne se fait pas contre les citoyens par la coercition mais s’appuie au contraire sur eux en permettant de dessiner les contours d’un avenir meilleur et d’une société harmonieuse. Elle contribue à réconcilier réellement et factuellement le développement économique avec le respect de l’humain et de la nature, elle encourage pour cela les initiatives, les mécanismes de coopération et de confiance, et contribue à régénérer les processus participatifs et démocratiques.
➡️ Si vous aviez une recommandation à faire formuler à la Première ministre chargée de la planification écologique, quel message lui feriez-vous passer ?
Je partage comme beaucoup le sentiment angoissé que l’Humanité se trouve désormais face à un grand saut dans l’inconnu, pour résoudre les immenses difficultés que nous avons nous-même générées par nos choix collectifs et individuels passés et actuels. Mais les mêmes causes entraînent les mêmes effets : si nous voulons sauver notre planète, il nous faut donc réviser de fond en comble nos modes de pensée, nos concepts et théories, nos méthodes, nos comportements. Ce qui peut constituer aussi in fine une opportunité, celle de rebâtir une société plus désirable et soutenable.
Face à ces défis immenses, il est indispensable que la puissance publique, en France, en Europe et au-delà, prenne à son compte le pilotage de la transformation pour agir en catalyseur. L’annonce d’une planification écologique est de ce point de vue une excellente nouvelle .
Mais il n’y plus de temps à perdre, ni par conséquent de droit à l’erreur sur la mise en action effective de la transformation et l’obtention de résultats significatifs. D’où pour ma part une inquiétude relative au choix du terme de “planification”, terme évoquant une méthodologie dont les principes sous-jacents ont été largement abandonnés dans les dernières décennies pour manque caractérisé d’efficacité. Le recours à ce terme peut donc interroger : si la voie de la planification offre un cadre en apparence “rassurant” et stabilisant, il laisse croire que l’on dispose d’une capacité de prévoir avec précision et à long terme, de garder la maîtrise des évolutions actuelles et futures de l’environnement. Il n’en est rien, et l’expérience montre que la désillusion pourrait être au bout du chemin. Pour ne citer que lui : Henry Mintzberg, un des plus célèbres théoriciens du management, expliquait il y a déjà près de 30 ans que seules 10% des stratégies planifiées dans les organisations étaient réellement mises en œuvre dans les faits. Dans 90% des cas, ce n’est donc pas ce qui est planifié qui survient, ce qui n’est pas rien. Un vaste ensemble de raisons est généralement avancé pour l’expliquer. Elles relèvent des limites évidentes de nos capacités (individuelles et collectives) de prévoir et d’anticiper à moyen et long termes en monde hyper incertain, instable et complexe, ou de la prise en compte des comportements des acteurs de terrain, par exemple, qui s’adaptent aux situations réelles et spécifiques qu’ils rencontrent.
Certes, l’urgence peut laisser penser que des objectifs dictés “d’en haut” et des mécanismes autoritaires sont indispensables pour parvenir à des résultats significatifs rapidement. A court terme et pour des résultats rapides, c’est peut-être le cas. Mais des travaux de recherche menés de longue date en France ou ailleurs montrent bien que la question de l’efficacité d’une stratégie (la planification en est une) réside moins dans sa formulation, aussi brillante et visionnaire soit-elle, que dans la mise en action effective, au quotidien, par les acteurs de terrain et leurs interactions individuelles et collectives : c’est bien à ce niveau que réside la clé de la réussite. L’exemple de l’Agenda 2030, défini en 2015 autour des ODD est à ce titre parlant : 17 objectifs, 169 indicateurs, du reporting et des outils statistiques. Voilà qui donne un sentiment d’action éventuellement rassurant, mais bien peu efficace : quel bilan après sept années ? Un écart dramatique avec les objectifs fixés, qui n’ont plus guère de chance d’être tenus. Alors, la faute à la malchance, liée à la survenue d’évènements non prévus ou anticipés (notamment Covid, guerre en Ukraine, etc.) ? A l’absence d’engagement des populations ?
En fait, la question de la méthode employée pour une transformation radicale est absolument essentielle, au-delà des moyens financiers engagés, et bien sûr très au-delà de la seule communication. A mon sens, elle ne peut reposer que sur l’engagement plein et entier, autour d’une vision d’avenir partagée et positive, des citoyens, consommateurs, entreprises, institutions, en s’inspirant davantage des principes et mécanismes de sensibilisation/éducation, décentralisation, confiance, responsabilisation, ou coopération. De telles approches existent, y compris en France, autour par exemple des travaux de l’équipe de Henri Savall et Véronique Zardet sur le capitalisme socialement responsable.