À l’occasion de la cinquième journée des Rencontres du Développement Durable consacrée à l’Europe et l’écologie, Justine Sagot - Journaliste à LCI - a modéré une table ronde intitulée « Construire l’Europe de l’écologie, sortons de la crise par le haut ». Sont intervenus sur cette question cruciale Agnès Benassy-Quéré - Cheffe économiste de la Direction générale du Trésor ; Maxime Lefebvre - Professeur à ESCP ; Patricia Savin – Avocate DS Avocats et Présidente d'ORÉE ; Guido Schmidt-Traub - Directeur exécutif du UN-SDSN et Gilles Vermot Desroches - Senior Vice-président de Schneider Electric.
Si l’urgence écologique nous pousse à agir et invite de fait à une réponse immédiate, celle-ci se doit également d’être collective. Alors que le multilatéralisme est en crise et que le populisme - lui - est en plein essor, la diplomatie environnementale de la France se concentre aujourd’hui vers l’Europe. Le Green Deal annoncé par la Commission européenne permet à ce titre d’envisager une sortie par le haut de la crise sanitaire.
Face à l’urgence climatique, des objectifs ambitieux mais nécessaires
À défaut de la supplanter, la crise économique coïncide désormais avec la crise sanitaire. Le plan de relance européen Next Generation EU adopté le 21 juillet 2020, constitue une réponse historique tant à la crise économique qu’à l’urgence climatique. Il vise la croissance certes, mais pas à n’importe quel prix puisque celle-ci doit d’abord être verte. Le plan complète par ailleurs une échéance stratégique bien précise : s’il était question en 2008 de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 %, puis en 2015 de 40 % ; désormais l’objectif en 2020 est porté à 55 % pour atteindre in fine la neutralité carbone d’ici 2050.
Maxime Lefebvre salue à ce titre le cadre normatif inédit instauré par Bruxelles. Au sein du cadre financier pluriannuel - CFP et du plan Next Generation EU, la part globale affectée au changement climatique est fixée à 30 % du montant total des dépenses. Plus généralement, le volet écologique se greffe à chacune des politiques européennes afin d’avancer vers l’objectif de la neutralité carbone.
Un plan visant à susciter des mutations radicales
Des flottes aériennes entières clouées au sol, des chantiers à l’arrêt, des achats de première nécessité seulement... Les conséquences de la pandémie s’apparentent presque aux effets d’une politique de décroissance. Force est alors de constater qu’elle ne suffirait pas à pallier l’urgence climatique, bien au contraire.
Seule l’application de mesures radicales mais structurelles permettrait d’éviter ou de limiter les effets dévastateurs du dérèglement climatique. Elles s’appliquent d’abord à la gouvernance économique de l’Europe. Patricia Savin estime que le plan de relance peut agir sur les leviers comptable, juridique et financier. En généralisant par exemple la déclaration de performance extra-financière au bilan des entreprises. En encourageant également la taxonomie verte et l’essor des entreprises à mission afin de révolutionner respectivement la finance et le droit commercial. En somme, le plan de relance représente une opportunité sans précédent pour déclencher de telles mutations. Il n’en reste pas moins crucial de les poursuivre et les accompagner à terme, la logique économique devenant en effet vite prépondérante, surtout en temps de crise.
Ces mutations ne peuvent être le seul fait des politiques publiques, la société civile doit elle aussi participer à la construction de l’Europe de l’écologie. Le plan de relance entend justement approfondir la mue écologique de la Politique Agricole Commune - PAC. Guido Schmidt-Traub rappelle en effet que si celle-ci visait initialement à décupler la production, elle opère désormais davantage sur sa qualité. Le plan Next Generation EU constitue une opportunité supplémentaire pour financer la transition agricole et investir dans les concepts de farm-to-fork et de nutrition saine. Cette agriculture verte ne peut néanmoins pas être portée par les seules autorités européennes, ce sont les citoyens – en qualité de « consomm’acteurs » - qui peuvent concrétiser l’Europe de l’écologie.
À terme, une Europe écologique et concurrentielle
Le plan de relance est un investissement exceptionnel mais néanmoins ponctuel en faveur de la transition écologique. Il ne cache toutefois pas sa volonté de structurer la politique européenne en matière d’écologie afin que ses entreprises soient à terme compétitives. Agnès Benassy-Quéré analyse précisément cet effet d’entraînement que le plan vise à susciter. Les ambitions climatiques d’aujourd’hui sont les filières économiques de demain. Les investissements dans le secteur de la rénovation thermique ou de l’hydrogène par exemple répondent à une double finalité : réduire le bilan carbone de l’Europe bien sûr mais également préparer les entreprises à se saisir de marchés qui seront bientôt plébiscités.
Avec les nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la Commission européenne utilise son pouvoir normatif pour influencer les indicateurs économiques en faveur de la transition. En témoigne par exemple le concept d’actifs échoués (stranded assets), c’est-à-dire ces actifs qui subiraient avec la transition bas-carbone une dévaluation imprévue. En portant l’objectif de réduction de gaz à effet de serre à 55 %, l’UE accroît considérablement la part des actifs dont les investissements perdront dans quelques années seulement leur rentabilité. Les acteurs économiques n’ont pas le choix : la transition écologique se fera et ils doivent adapter leur comportement sur les marchés au plus vite, en délaissant tout investissement dans les centrales à charbon par exemple.
Les entreprises doivent résoudre une équation complète et complexe : effectuer leur transition écologique sans sacrifier leur compétitivité. La seule solution en l’occurrence est une inconnue : l’innovation. En l’espèce, les moyens actuellement à disposition des entreprises ne leur permettent pas de sauvegarder durablement l’environnement. Les politiques que prennent les gouvernements à court terme reposent sur l’espoir de susciter in fine une innovation technique permettant de leur supplanter. En ce sens, Gilles Vermot Desroches considère que les entreprises européennes disposent déjà d’un avantage concurrentiel considérable. Il rappelle en effet qu’elles furent les premières à appliquer, non sans résistance, la réglementation européenne REACH de 2006 sur les substances chimiques et que cette transition leur a permis de susciter d’importantes innovations par la suite. En Europe comme ailleurs, l’innovation reste consubstantielle à une croissance verte.
Parfois divisés sur les enjeux traitant de l’État de droit ou d’autonomie stratégique, les États-membres doivent faire face collectivement à l’urgence climatique. Il est ici question d’internaliser les externalités, c’est-à-dire de réfléchir ensemble à la politique environnementale pour poser un cadre normatif cohérent permettant d’éviter la désunion face à des chocs extérieurs.
L’urgence climatique n’en demeure pas moins mondiale, s’il est souhaitable que l’Europe soit force de proposition en la matière, elle ne peut faire abstraction du reste du monde. Alors que la Chine surprend en annonçant elle aussi la neutralité carbone, les États-Unis font face à un chantier dévasté par quatre années de présidence Trump. Il en va de la responsabilité de l’Europe de collaborer avec les autres États, de soutenir les pays en voie de développement dans leur transition et de stimuler une nouvelle dynamique multilatérale cinq ans après l’Accord de Paris sur le Climat. L’urgence climatique est mondiale et doit être traitée comme telle.