Lors de la journée consacrée à la thématique “Accéder au bien-être”, Alain Capmas, président de la communauté Emmaüs de Bougival, représentant du Medef au Grenelle de l’environnement en 2007, Michel Colombier, directeur scientifique de l’IDDRI et membre du Haut Conseil pour le Climat, Brigitte Métra, architecte et urbaniste, membre de l’Académie d’architecture, Claire Pitollat, députée, présidente du groupe d’étude de l’Assemblée nationale sur la qualité de l’air et Marilena Vecco, professeure à Burgundy School of Business ont débattu du lien entre habitat et bien-être lors d’une table ronde modérée par Victor Dhollande, Journaliste à Europe 1.
La crise de la Covid-19, qui a contraint plus de 4.5 milliards de personnes à travers le monde à se confiner, a révélé à nombre d’entre nous l’influence que peut avoir l’habitat sur notre bien-être. En effet, lorsque les restaurants, les bars, les cinémas, les théâtres sont fermés, habiter un logement confortable devient primordial.
Mais qu’est-ce qu’un logement confortable ? Pendant la préhistoire, période à laquelle les êtres humains sont devenus sédentaires, l’habitat n’était conçu que pour s’abriter des intempéries, des ennemis et des animaux sauvages ; désormais, le logement confortable doit conjuguer accès aux équipements de base et minimisation de l’empreinte carbone.
Aujourd’hui, selon l’OCDE, pour 99.5 % des habitations en France, l’accès privatif à un WC intérieur équipé d’une chasse d’eau est une réalité. Pourtant il y a toujours, selon la Fondation Abbé Pierre, 4 millions de personnes en France considérées comme mal logés (vivant dans des bidonvilles, dans des centres d’hébergement, dans des foyers de travailleurs, etc.) ou comme vivant dans des conditions très difficiles (absence de chauffage, de wc individuel, et surpeuplement). Si on y ajoute, toujours selon la Fondation Abbé Pierre, les 12 millions de Français qui sont en situation de fragilité du fait de la crise de logement (impayés de loyers, copropriété en difficulté, surpeuplement, précarité énergétique, etc.) alors c’est un Français sur quatre pour qui bien-être et habitat relève plus du fantasme que de l’horizon accessible.
Bernard Klasen, prêtre du diocèse de Nanterre, affirme dans Habiter. Une philosophie de l’habitat (2018) que nous devons « plaider pour le lieu habité, avec ses aspects de demeure et d’ancrage, et défendre l’idée de l’habitat comme le type même de ces racines qui fondent notre humanité et notre être-au-monde ». Habiter, ce n’est donc pas seulement se loger. Habiter, c’est une condition du bien être, c’est comme le dirait Alain Capmas, “la capacité à se sentir en contrôle de son avenir et de son environnement”. Or, la part des revenus consacrée à payer son loyer peut être un frein à ce bien-être, à cette capacité à se sentir en contrôle. Selon l’OCDE, les ménages français consacrent en moyenne, depuis 2005, 21 % de leur revenu au logement. Mais, il est à noter qu’entre 2006 et 2013, selon la Fondation Abbé Pierre, le nombre de personnes dépensant plus de 35 % de leur revenu pour se loger a augmenté de 42 %, représentant ainsi plus de 5 millions d’individus.
Cela s’explique par la conjonction de deux phénomènes : la hausse des prix à l’achat et à la location des logements et une hausse des revenus augmentant moins vite que les dépenses de logement, notamment depuis la crise de 2008.
Banque Centrale Européenne et politiques du logement au banc des accusés ?
A la suite de la crise financière de 2008, la Banque Centrale Européenne - BCE a mené une politique expansionniste caractérisée par des taux d’intérêts très bas, voire négatifs, et des rachats d’actifs sur le marché secondaire obligataire afin d’empêcher les économies de la zone euro de tomber en déflation. Faute de se retrouver dans l’économie réelle, ces liquidités, favorisées par un accès au crédit facilité aux entreprises et aux ménages ont trouvé un débouché sur le marché immobilier. Cela a vraisemblablement entraîné des phénomènes spéculatifs à la fois de la part des promoteurs immobiliers et des acheteurs.
Brigitte Métra ne dit pas autre chose lorsqu’elle déclare que "nous sommes dans un mécanisme purement financier où l’Homme n’est plus le centre.” Cela s’illustre dans les grandes métropoles à l’instar de Paris où, selon l’OFCE, les prix immobiliers ont été multipliés par un facteur de 3 à 5 en fonction des arrondissements, entre 1998 et 2016.
Dans ce contexte de mutation de l’environnement financier, des initiatives publiques existent certes, mais leurs résultats sont critiquables. Selon l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal), la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) du 13 décembre 2000 imposant 20% de logements sociaux aux communes a, vingt ans après sa promulgation, certes mieux permis de répartir l’offre de logement social sur le territoire, mais n’a pas pour autant amélioré la mixité sociale dans les quartiers.
Autre loi symbolique, la loi ALUR (loi du 2 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové), censée notamment proposer un encadrement des loyers dans les zones tendues, a progressivement été détricotée depuis six ans. En effet, en 2020, force est de constater que rares sont les propriétaires parisiens à proposer un loyer en dessous du plafond légal.
Aux citoyens de définir leur habitat ?
Comme le dit très justement Michel Colombier, Directeur scientifique de l’IDDRI et membre du Haut Conseil pour le Climat : “l’innovation n’est pas seulement technique, elle est aussi sociale". Il est donc possible de bâtir autrement et de “repenser le modèle en faisant ensemble le bien commun” selon les dires de Brigitte Métra qui donne l’exemple de la ville de Nantes où ont été créés des “logements vertueux avec 25 terrasses plantées, des espaces mutualisés et une vraie volonté de faire quartier”. Selon elle, une densification heureuse est possible, à condition de “remettre l’humain au cœur de la ville”.
Depuis la loi ALUR du 24 mars 2014 qui, en plus de proposer un encadrement des loyers, a contribué à donner deux cadres juridiques à l’habitat participatif, à travers la coopérative d’habitants et la société d’autopromotion, les Français se convertissent de plus en plus à ce modèle qui permet de concevoir, créer, gérer son habitat collectivement. L’habitat participatif permet de trouver un terrain, de concevoir des logements adaptés aux besoins de chacun et d’introduire des espaces de convivialité afin de mieux vivre individuellement et ensemble. Il est à noter que les premiers exemples d’habitat participatif (Eco-logis à Strasbourg, Ecoravie dans la Drôme, etc.) ont fait la part belle au développement durable par le choix des matériaux, la définition des sources énergétiques, la gestion des déchets.
Dans son plan de relance, le gouvernement a décidé d’allouer, comme le rappelle Claire Pitollat, “9 milliards d’euro pour l’énergie, et 7,5 milliards d’euro pour le logement”, tout en faisant de “la rénovation des bâtiments un axe fort pour réduire les consommations de ce secteur” - rappelons que 19% des émissions de gaz à effet de serre proviennent des bâtiments.
En permettant aux initiatives citoyennes d’être le relais de politiques publiques ambitieuses, nous pourrons atteindre, en 2030 l’objectif 11 des Objectifs du Développement Durable qui entend “assurer l’accès de tous à un logement et des services de base adéquats et sûrs, à un coût abordable, et à assainir les quartiers de taudis”. Dans ces coopérations entre acteurs publics institutionnels et libération des énergies locales collectives se niche sans doute la formule gagnante pour endiguer le réchauffement climatique ; tout cela en s’assurant du bien-être de chacun.