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Pour avancer sur les ODD : l’Agenda 2030, produit ou ciment du multilatéralisme ?

| Juliette Kirscher-Luciani, Fellow de l’Institut Open Diplomacy

20 janvier 2021

Le 25 septembre, nous avons célébré le cinquième anniversaire des dix-sept Objectifs de Développement Durable - ODD en présence de Jeffrey Sachs, Président du UN SDSN et Professeur à Columbia University. Il était l'invité de la masterclass « Pour avancer sur l’Agenda 2030 » animée par Thomas Friang, Directeur général de l’Institut Open Diplomacy. Inquiet de l’avenir de la coopération internationale et de la réalisation des promesses engagées dans l’Agenda 2030, Jeffrey Sachs dresse un état du monde, quelques semaines avant la tenue de l’élection américaine.

Considéré comme l’un des architectes des ODD, Jeffrey Sachs nous rappelle que le point de départ de ces objectifs réside dans l’article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1948 selon lequel toute personne sur la planète a droit à « un niveau de vie suffisant ».

En 1972, le « Club de Rome » publie The Limits to Growth - ou Rapport Meadows - alertant ainsi sur l’épuisement des matières premières et mettant en lumière le lien entre croissance économique et catastrophe écologique. Sans pouvoir réellement affirmer que la crise environnementale était une thématique très présente dans l’agenda politique de l’époque et plus simplement dans la vie quotidienne de chacun, l’idée a commencé à germer. C’est en 1992, durant le Sommet de la Terre de Rio que l’on précise la notion de développement durable, et où l’on associe le respect des Droits humains, des droits économiques et le principe de durabilité environnementale.

Les Objectifs de développement durable doivent leur existence à une initiative de la Colombie en 2012. Le gouvernement colombien propose que l’ONU devrait pouvoir mettre en place des objectifs de développement durable de la même façon qu’elle avait mis en œuvre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

Pendant plus de trois ans, les gouvernements ont négocié le contenu de ces objectifs, avant d’arriver aux 17 ODD que nous connaissons. Cette élaboration collective s’est concrétisée il y a cinq ans, lorsque l’ONU a adopté l'Agenda 2030. Cette première étape dans l’édification de la feuille de route internationale pour œuvrer en faveur du développement durable s’est vue consolidée avec l’Accord de Paris sur le Climat.

Les ODD, un défi à relever pour le leader du monde libre ?

Pour Jeffrey Sachs, il y a trois grands obstacles à l’application complète et pérenne de ces Objectifs de développement durable. En premier lieu, il s’agit des crises économiques et humanitaires dont les aspects désastreux ne sont plus à prouver. Ensuite, le Président du UN SDSN désignent les crises politiques et du multilatéralisme : sans solidarité et entente, nous n’avancerons pas. Troisième facteur et non des moindres qui s’est ajouté à la longue liste de défis de notre siècle, la pandémie de coronavirus qu’il est urgent de maîtriser afin d’amoindrir l’inégalité sociale qu'elle a creusé.

Si 2020 est, et restera indéniablement l’année de la pandémie, des confinements et des grands bouleversements de la vie quotidienne, elle est aussi celle de l’élection d’un nouveau Président de la République outre-Atlantique. Dans le contexte de multi-crises que nous venons d’évoquer l’arrivée au pouvoir de Joe Biden interroge : que pouvons-nous attendre des Etats-Unis désormais ?

Les États-Unis ont le statut paradoxal des pays très riches : ils jouissent d’un statut de puissance bien que la richesse soit inégalement répartie et la gouvernance, fragile. Si nous pouvons y déplorer de fortes fragmentations sociales, ce mal ne leur est pas propre et touche nombre d’Etats à travers le monde. Pourtant, il faut souligner que les États-Unis, qui figurent parmi les salaires moyens les plus élevés selon l’OCDE, connaissent une société exceptionnellement inégale.

Dans cette perspective, l'ascension de la Chine sur la scène internationale suscite plusieurs types de réactions de la part des États-Unis. Alors qu’on la considère comme la « grande menace pour le monde », ce que Jeffrey Sachs perçoit comme étant un stéréotype répandu sur le sol américain, la Chine serait en train de rattraper son retard sur le plan environnemental en comparaison avec l'Europe et les États-Unis.

Peut-on faire confiance au nouvel engagement chinois ?

L’industrialisation de la Chine dont l’essor repose sur l'exploitation d’énergies fossiles a provoqué une pollution massive de l’eau, de l'air et des océans en Chine et dans le monde entier aussi. Cette croissance rapide, exacerbée par les logiques de globalisation profite à tous mais la Chine, devenue l’usine du monde, fait payer un lourd tribut écologique. Plusieurs décennies après le Rapport Meadows, l’on en revient à la difficulté de trouver un équilibre entre enjeux économiques et écologiques.

En 2015, la Chine amorce un changement notable de trajectoire. Alors que celle-ci rejoint l'Accord de Paris sur le Climat qui œuvre activement pour la décarbonation du système énergétique, Xi Jinping a déclaré lors de l’Assemblée Générale des Nations unies en septembre 2020 que la Chine serait neutre en carbone d’ici 2060. Un défi de taille tant les émissions chinoises sont importantes. En outre, même s'il craint une fracture entre deux Chine antagonistes (l'Est et l'Ouest) et qu’il redoute l’ingérence de la Charte des Nations unies dans les affaires intérieures, le président Xi Jinping engage, par cette déclaration, son pays dans une coopération internationale et multilatéraliste pour la paix et le climat.

Jeffrey Sachs conclut qu’en face de ces deux géants, l'Europe a besoin de sa propre forme de politique. Avec le fonds de relance et le Green Deal, l’Union a créé un modèle qui peut inspirer la coopération internationale et les initiatives régionales en faveur d’un effort environnemental dans le reste du monde.

La coopération avant la transition

La perspective d'une coopération entre les États-Unis, l'Europe et la Chine est fondamentale. Leurs relations tendent, de ce fait, à être détaillées, mûries et institutionnalisées.

À cet égard, l'engagement exprimé par le président Xi Jinping montre comment les récentes avancées européennes, comme le Pacte vert et la loi sur le climat par exemple, ont rendu l’agenda environnemental international plus clair et transparent. En outre, l'élection de Joe Biden comme nouveau Président des Etats-Unis laisse à penser que Washington et Bruxelles sont désormais plus en phase pour la constitution d’un cadre commun quant à la mise en place de l’Agenda 2030. Pour autant, la crise du multilatéralisme reste indéniablement la toile de fond de notre entrée dans la « décennie d'action », selon les mots d’Antonio Guterres.

Mais au-delà des entraves actuelles au multilatéralisme, Jeffrey Sachs revient sur l’existence de barrières quasi philosophiques à l’échelle de l’individu. Pour le Professeur à Columbia University, notre avenir repose sur notre façon de nous comprendre les uns et les autres. Cette entente fondamentale entre êtres humains est ce qui permettra de relever les défis de la transition avec succès. Il faut donc pouvoir claquer cette logique à l’échelle internationale et ainsi axer l'organisation des institutions sur cette compréhension mutuelle, afin d’atteindre les 17 objectifs que nous nous sommes fixés.

En somme, tout part de la volonté d’agir et d’un questionnement à la fois juste et transparent sur les ODD : comment puis-je aider ? Quel est l'objectif qui n’est pas atteint et comment l’atteindre ?