Lors de la journée consacrée au thème “Transformer le capitalisme” des Rencontres du Développement Durable, Stéphane Marchand, Rédacteur en chef de Pour l’éco, a modéré une table-ronde intitulée « Transformer le capitalisme, transformons la finance », qui a rassemblée Jean-Noël Barrot, Député et Vice-Président de la commission des Finances, Anastasia Cozarenco, Titulaire de la Chaire Microfinance dans les pays développés de Montpellier Business School et Directrice du Yunus Centre for Social Business and Financial Inclusion, Delphine Gibassier, Professeure à Audencia et Titulaire de la chaire « Performance Globale Multi-Capitaux », Adeline Pilon, Co-fondatrice et Déléguée générale de la Fondation Elyx, Pierre-Alix Binet, Responsable des programmes et du développement de Finance for Tomorrow et Antoine Sire, Directeur de l’engagement d’entreprise et Membre du Comex de BNP Paribas.
Depuis la crise de 2008, la question de la place occupée par la finance dans nos économies, et plus largement dans le système capitaliste tel que nous le connaissons, se pose de plus en plus souvent. En 2020, alors que nous entrons dans « la décennie de l’action », il apparaît nécessaire de s’interroger sur les leviers de financement existant pour initier et réaliser la transition écologique. Comme transition rime avec transformation profonde de nos appareils productifs, de nos modèles énergétiques, de nos moyens de transport, la mobilisation des capitaux privés est une nécessité.
Concilier la finance et les Objectifs de développement durable (ODD) est un chemin de crête sur lequel s’engagent des acteurs publics, privés, de la société civile et gouvernementaux.
Mobiliser la finance vers la transition
Pour Jean-Noël Barrot, un investissement de 150 milliards d’euros par an pendant 10 ans serait nécessaire en France pour atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Paris pour 2030. A titre de comparaison, le plan de relance français est budgété à 100 milliards d’euros et les Français ont épargné 100 milliards d’euros entre mars 2020 et août 2020. Pour mener à bien la transition et atteindre les 17 ODD, il est nécessaire de mobiliser l’épargne des Français. Pour la diriger vers la transition climatique, la promotion de produits d’épargne verte et solidaire permet simultanément d’augmenter l’appétit au risque des Français mais aussi d’augmenter le financement des initiatives responsables
Il apparaît nécessaire que les pouvoirs publics s’engagent dans le fléchage de l’épargne vers une diversification des produits financiers car il semble que la compréhension par les citoyens des enjeux financiers reste parfois floue, en France comme à l'étranger. La loi Pacte qui assure la présence de produits verts et solidaires pour l’épargne des français (assurance-vie et épargne retraite) est un pas de fait dans cette direction, selon Jean-Noël Barrot, Député, Vice-Président de la commission des Finances.
Ne plus opposer rendement financier et utilité sociale apparaît aujourd’hui comme un impératif pour réaliser et financer la transition dont nous avons tant besoin. Il faut les conjuguer dans une vision à long terme. Les activités qui reposent sur une exploitation irraisonnée des ressources naturelles ne sont pas économiquement et financièrement saines ni soutenables sur le long terme et ont pour conséquence des risques financiers supérieurs (faillites d’entreprises, défaut de remboursement de crédits…). La prise en compte des différentes externalités des investissements en termes d'utilisation des ressources, des sols ainsi que les déchets directs et indirects doit donc rentrer en compte dans une évaluation holistique des performances et des risques de chaque investissement.
Pour limiter les conséquences sociales négatives de la transition, le retrait du monde de la finance de certains secteurs comme celui de la production d’énergie carbonée doit s’accompagner d’un engagement dans des secteurs plus durables. Il ne s’agit pas uniquement de mettre fin à certaines pratiques néfastes pour la planète mais d'investir intelligemment dans des domaines durables pour que la transition s’opère. Cette transition du tissu socio-économique requiert des mesures locales et adaptées aux exigences spécifiques de chaque territoire. Cette transition doit se faire au sein des nations mais elle demande aussi de trouver des moyens pour répondre aux aspirations légitimes de développement des pays du Sud.
Des nouveaux indicateurs pour une autre finance
La mise en place de nouveaux indicateurs de reporting des performances d’une entreprise est un champ de recherche dans le domaine de l’économie et de la finance depuis de nombreuses années. Ces indicateurs permettent aux consommateurs et investisseurs de prendre des décisions éclairées et d’évaluer les progrès réalisés. Les écoles de commerce s’engagent d’ailleurs en ce sens pour préparer les managers de demain.
L’amélioration des performances au sein de l’entreprise ne se calcule plus autour du seul secteur financier, et c’est une évolution majeure. En effet, la prise en compte des performances sociales et environnementales fait désormais partie d’une nouvelle culture d’entreprise qui se développe actuellement. Cela passe par la formation continue des acteurs d’aujourd’hui et par l’évolution des formations dans les écoles et universités. La cible de ces formations est principalement les Directeurs Administratifs et Financiers car ils sont aujourd’hui les acteurs qui peuvent diffuser cette nouvelle culture. Il semble aujourd’hui nécessaire de mettre en place une comptabilité de la biodiversité et il en va de même pour l’étude de la dépendance des chaînes de productions à des ressources menacées (ressources en tension, espèces en voie de disparition…). La lutte contre le changement climatique et la disparition de la biodiversité nécessite en effet une approche holistique sur l’ensemble des Objectifs de Développement Durable et la réduction des défis à la limitation des émissions de CO2 serait une erreur.
Désormais le secteur privé s’engage en faveur de la transition. Cela s’illustre par exemple à travers la volonté de banques, comme BNP Paribas, de mettre en place des outils de compréhension pour le consommateur, dans les investissements qui s’offrent à lui. Ce pas en avant est intéressant pour des consommateurs aujourd’hui sensibilisés aux questions écologiques, qui peinent parfois à trouver une manière d’influer sur le monde par le biais de leur consommation, de leurs décisions, de leurs investissements.
De grandes déclarations d’intention à l’image de celles proférées par Larry Fink, directeur de BlackRock - plus grand fond d’investissement au monde - en faveur d’une finance engagée sont les bienvenues et ne peuvent que faire évoluer le monde de la finance vers la transition. Mais in fine, c’est l’engagement des clients pour des produits financiers plus vertueux qui permettront de réellement faire la différence, et d’inciter les acteurs de cet écosystème à mettre en place des pratiques durables.
Une finance à échelle multiple pour agir pour tous
Pour faire de la finance un soutien à la transition écologique et solidaire, il faut que l’ensemble des services financiers soient sollicités. Ainsi, en complément des services bancaires et de gestion de patrimoine traditionnels, la microfinance a aussi un rôle central à jouer. Elle représente à la fois une opportunité d’accompagner des projets écologiquement responsables et locaux mais aussi d’engager et de sensibiliser le plus grand nombre, dans les pays développés comme au sein des pays du Sud. En effet, la microfinance permet de découvrir des initiatives locales et responsables tout en fléchant efficacement l’épargne. Le fonctionnement de la microfinance qui permet à des personnes exclues du système bancaire classique de financer des projets se base sur les relations qui se tissent entre l’institution financière et ses clients.
Pour conclure, il semble que la finance soit un acteur majeur et vital de la transition écologique et sociale. Les transformations profondes de nos économies et de nos sociétés nécessitent la mobilisation de capitaux privés importants et seule une mobilisation massive et conjointe des acteurs financiers et des consommateurs permettra d’atteindre les Objectifs de Développement Durables. Le système doit se repenser en profondeur, des normes qui le définissent à son périmètre d’action avec la microfinance en passant par l’éducation des citoyens à son fonctionnement. La vigilance des consommateurs et des clients exigeants sur les sujets environnementaux sera la clé de voûte de cette réinvention. Les Objectifs de Développement Durable leur offrent une grille de lecture pertinente pour assurer leur contrôle.