Lors de la journée consacrée au thème “Accéder au bien-être” des Rencontres du Développement Durable, Thomas Friang, Fondateur et Directeur général de l’Institut Open Diplomacy a reçu Moussa Oumarou, Directeur général adjoint pour les programmes extérieurs et les partenariats de l’Organisation Internationale du Travail et ancien Ministre du travail du Niger, lors d’une table-ronde consacrée au thème « poursuivre le progrès malgré la covid ».
Si vis pacem, cole justitiam. Si tu veux la paix, cultive la justice. Tel est le mot d’ordre qui a guidé la création de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en 1919.
Un peu plus de 100 ans plus tard, le monde fait face à une pandémie de grande envergure qui menace à la fois la santé, les moyens de subsistance et le bien-être à long terme de millions d’individus. En ce sens, l’OIT a un rôle primordial à jouer pour pallier les conséquences désastreuses de la pandémie sur la sécurité des individus, des entreprises et des emplois.
Liberté, égalité et justice sociale : de la déclaration de Philadelphie à la crise de la Covid-19
L’OIT est la plus vieille organisation internationale au monde. Elle dispose d’un mode de gouvernance unique, tripartite, basée à fois sur la représentation des travailleurs, des employeurs et des états. Cette gouvernance tripartite permet une action commune dont les principaux buts sont la promotion des droits au travail, l’accès à l’emploi décent, la protection sociale, et le dialogue social.
La déclaration de Philadelphie, adoptée pendant la conférence générale de 1944, annonce les principes fondamentaux.
Tout d’abord, le travail n’est pas une marchandise. Dans un livre éponyme, Alain Supiot rappelle l’importance de restituer la liberté et la responsabilité aux travailleurs, en redonnant du sens à leur production, qui va bien au-delà de retombées marchandes. Ainsi la plénitude de l’emploi, l’amélioration de la santé et du bien-être au travail, et l’élévation du niveau de vie permettent une participation équitable aux fruits du progrès. Ces notions d’équitabilité, de liberté et de justice sociale sont présentes tout au long de la déclaration de Philadelphie : la lutte pour le bien commun, la liberté d’expression et la liberté d’association sont considérées, au sein du texte, comme des éléments indispensables à tout progrès soutenus.
Enfin, la déclaration de Philadelphie place l’accès à l’emploi comme élément central de lutte contre la pauvreté, et comme garant de la paix. On peut d’ailleurs lire dans la déclaration que « la pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous ».
Mais la pauvreté et la précarité, phénomènes existants bien avant la pandémie de coronavirus se sont amplifiés avec celle-ci. Selon une étude récente de Focus 2030, pour 56% des Françaises et des Français, le seuil de pauvreté va augmenter dans le monde, à cause de la pandémie. L’accès à l’emploi s’est d’ailleurs complexifié avec la crise du coronavirus. En outre, le re-confinement annoncé dans divers pays, à l’automne 2020, ne va pas faciliter l’accès à l’emploi, pour les jeunes diplômés ou les travailleurs les plus précaires par exemple.
Quel rôle pour l’OIT dans la réponse à la crise du coronavirus, et au maintien des libertés civiques ?
Instance normative, l’OIT a émis, pendant la pandémie, des « standards internationaux du travail », ayant pour but de garantir le respect des droits humains et l’accès au travail décent, tout en prenant en compte les conséquences socio-économiques qui découlent de la pandémie. Que ces conséquences soient immédiates ou à venir, l’OIT entend agir en considérant le caractère inédit de la situation. Ces recommandations décrivent une approche stratégique de gestion de crise. Respectueuse du principe d’état de droit, l’OIT, dès lors qu’il y a une volonté politique affichée, aide les pays à mettre en œuvre ces différentes normes en s’adaptant au contexte national. Elles s’articulent autour de quatre axes :
- La stimulation de l’économie et de l’emploi
- Le soutien aux entreprises
- La sécurité et la santé au travail
- Le dialogue social
Ces quatre axes sont en lien direct avec les Objectifs de Développement Durables (ODD), notamment avec le 8ème relatif à l’emploi décent, et le 1er portant sur la lutte contre la faim et la pauvreté.
Afin de garantir des résultats dans ces quatre axes, il est indispensable que le dialogue soit maintenu entre Etats, organismes internationaux, société civile, collectivités, acteurs privés, entreprises, etc. Une coopération internationale, transparente et inclusive, entre tous ces acteurs est nécessaire pour voir ce processus aboutir.
Comment construire des solutions durables dans un monde en pleine mutation ?
Au-delà de la crise de la Covid-19, de nombreuses mutations s’opèrent dans le monde, avec des conséquences inéluctables sur celui du travail : les bouleversements démographiques, les évolutions technologiques et le changement climatique en sont de parfaits exemples.
La révolution numérique par exemple fait évoluer notre rapport au travail. Les tâches calculables et programmables sont de plus en plus souvent confiées à des machines ou à des programmes. Ainsi, l’humain peut se focaliser sur la recherche plutôt que sur la production à proprement parler. Le pendant négatif de ce progrès, cependant, s’illustre à travers des travailleurs de plus en plus sujets aux risques de burn-out, en étant tout le temps connectés et en ayant accès continuellement aux informations en lien avec leur travail. Le télétravail pendant la période de confinement a d’ailleurs fait ressortir la difficulté chez certains à différencier leur vie professionnelle et personnelle, l’une empiétant sur l’autre.
La crise climatique, quant à elle, nous force à repenser nos modes de production et plus largement nos modes de vie. Respecter et partager la terre est plus que jamais nécessaire. La solidarité entre les différents types d’acteurs et la réalisation des ODD sont véritablement nécessaire pour dessiner un futur durable et inclusif. Cela, la société civile l’a bien compris : selon un sondage récent de Focus 2030, 65% des Français considèrent qu’il est urgent de promouvoir la solidarité entre les nations pour faire face aux défis contemporains.
Pour mettre en place des solutions durables, la prise en compte des droits fondamentaux est une nécessité absolue. Dans les pays en développement par exemple de nombreux emplois relèvent du secteur informel. Une véritable économie parallèle, non sécurité et dénuée de toute forme de protection sociale s’est développée. Favoriser le dialogue social peut permettre de pallier ces situations.
Également, réduire - voire supprimer - les inégalités salariales entre les femmes et les hommes est nécessaire pour construire un monde durable, inclusif et juste. En travaillant sur des recommandations et en développant des partenariats avec l’ensemble des organisations des Nations unies et les gouvernements volontaires, l’OIT s’attaque aux problématiques relatives aux inégalités de genre au travail.
Pour conclure, citons monsieur Moussa Oumarou qui résume parfaitement la volonté de l’OIT : « en centrant les politiques et les efforts sur l’humain nous trouvons et trouverons des réponses à ces grandes mutations. Si les solutions oublient l’humain nous aurons raté l’essentiel et la paix universelle ne pourra pas se faire ». Se préoccuper de l’humain est donc primordial et central. Cultiver la justice - sociale - pour aboutir à une paix durable et mondiale, voici le défi de l’Organisation Internationale du Travail pendant cette pandémie qui bouleverse notre monde.