Lors de la journée consacrée au thème « Transformer le capitalisme » des Rencontres du Développement Durable, Stéphane Marchand, Rédacteur en chef de Pour l’éco a modéré une table-ronde intitulée « Transformer le capitalisme, transformons nos entreprises » qui a rassemblé Sandy Arzur, Directrice générale adjointe de Sparknews, Sylvie Brunet, Députée européenne, Cyril Cosme, Directeur du bureau pour la France de l’Organisation internationale du Travail, Blaise Desbordes, Directeur général de Max Havelaar France, Helen Etchanchu, Professeure à Montpellier Business School et Co-fondatrice de OS4future et Adeline Lescanne-Gautier, Directrice générale du Groupe Nutriset.
Il apparaît aussi urgent, en 2020, de mettre en oeuvre la transition écologique que de repenser notre modèle capitaliste - l'un n'allant pas sans l'autre. La crise sanitaire du coronavirus est probablement venue procurer l’électrochoc dont nous avions besoin, sans que nous n’en ayons conscience ; et les entreprises - premiers soldats d’une relance efficace et pérenne - se sont illustrées comme l’un des acteurs majeurs de celle-ci.
Afin de transformer le capitalisme, il est donc crucial que ses composantes phares, comme les entreprises, les consommateurs ou les pouvoirs publics, puissent agir en ce sens. Pour cela, de nombreux leviers d’actions existent, mais leur mise en place reste souvent ardue.
Les entreprises face à la nécessaire transition
Les entreprises sont souvent perçues négativement dans leur manière d’aborder la transition écologique. Pointées du doigt comme étant responsables d’une grande partie des émissions nocives, on les accuse de polluer sans scrupule. Mais cette image est amenée à évoluer.
Blaise Desbordes défend qu’il est possible de « changer les pratiques du capitalisme sans l’annuler ». Le directeur général de l’ONG Max Havelaar France, met en exergue des mesures concrètes : fléchage des investissements grâce à des surprimes de 10%, création de labels qualifiant l’investissement RSE, ou encore la fixation des prix afin de favoriser le commerce équitable... De nombreuses solutions existent donc.
Mais malgré ces initiatives, le modèle capitaliste reste sujet aux critiques. Pour Cyril Cosme, Directeur du bureau français de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), il serait pertinent de commencer par « civiliser le capitalisme ». A ce titre, et à l’heure où les chaînes de production sont mondialisées, l’entreprise a son rôle à jouer. Car l’atteinte des ODD, véritable boussole de l’action mondiale en terme de développement durable, en dépend. Elle ne pourra se faire qu'en privilégiant une vision de long terme pour l’entreprise.
Pour cela, il est intéressant de se pencher sur la notion de concurrence, symbole par excellence d'un capitalisme parfois cruel. Cette dernière peut également être un formidable outil à mobiliser pour permettre la mise en place d'une transition efficace. Animées la volonté d'innover, les entreprises pourraient proposer aux consommateurs des biens toujours plus performants sur le plan environnemental, c'est à dire fabriqués pour durer plus longtemps, pour avoir plusieurs vie. Cela va dans le sens d'un monde durable.
Nous l'avons compris, la responsabilité des entreprises est grande - cela était perceptible depuis longtemps. Les statuts même de l’OIT rappellent que le but de l’organisation est de « faire en sorte que les entreprises, dans leur fonctionnement, soient compatibles avec la lutte contre les inégalités », comme le souligne M. Cosme. Les entreprises ne doivent donc pas attendre d’être contraintes par la loi pour aller dans le sens d’une transformation durable. Et Blaise Desbordes de renchérir : « la base de tout, c’est la motivation ». Sans volonté en effet, la transition attendue de sera pas. A ce titre d'ailleurs, un acteur est particulièrement concerné : le consommateur.
Le rôle charnière du consommateur
Il n'est pas attendu des individus qu'ils s'interrogent sur leur comportement, en tant que consommateur. Pour l'entreprise cependant, il est plus qu'intéressant que le client soit conscient de ses choix. En effet, la pérennité d'une marque dépend du comportement des membres de son marché. Au centre de cette démarche, des scores, indicateurs et autres labels fleurissent. Ils permettent de rendre visible l'engagement d'une l'entreprise en faveur d'un monde plus durable, et améliorent en général la perception qu'ont les consommateurs de cette dernière. Une entreprise montrant qu’elle cherche à progresser donne l'impression qu'elle prend ses responsabilités et qu'elle suit une démarche citoyenne, comme le souligne Sandy Arzur, Directrice générale adjointe de Sparknews.
Au plus proche du citoyen-consommateur, on retrouve les PME familiales. Ces dernières sont d'ailleurs souvent à la pointe dans le domaine de la RSE. Elles évoluent dans un écosystème faisant que « l’engagement éthique est favorisé », selon Blaise Desbordes. Adeline Lescanne-Gautier, Directrice générale du groupe Nutriset, détaille le cadre spécifique de ce type de structure : leur position en marge des grandes places financières évite en partie les pressions financières et favorisent des démarches plus sincères. Pourtant, les PME sont elles aussi victimes d’externalités négatives. Elles font face à la difficulté d’imposer l’aspect environnemental dans les appels d’offre qu'elle lancent. Les résultats d’une PME se doivent donc d’être mesurés sur un mandat, afin d'être perceptibles.
Le citoyen-consommateur a également un rôle à jouer dans le « changement culturel » nécessaire à la transition, d'après Mme Arzur. En effet, comment expliquer qu’un individu, engagé écologiquement, puisse accepter d'acheter à des entreprises peu soucieuses de l'environnement ? Cette schizophrénie entre le citoyen et le consommateur doit être guérie pour parfaire la transition, et la voir aboutir.
Afin de permettre aux entreprises et aux consommateurs d’évoluer - ensemble - dans un cadre le plus favorable possible à la transition, les institutions publiques doivent également se mettre au diapason.
Une transformation impossible sans pouvoirs publics
Pour Blaise Desbordes, l’appareil législatif est censé être là pour pallier le manque de repères pour le consommateur, et l'aiguiller dans ses démarches en faveur de la préservation de l'environnement. A ce titre, le Directeur général de Max Havelaar incite les instances européennes à introduire dans leur législation « un niveau d’atteinte des ODD pour les entreprises » du vieux continent.
Sylvie Brunet, Députée européenne, défend la vision d'une Europe pionnière en la matière. Selon elle, imposer un cadre coercitif est une bonne chose, mais « il faut aussi que remonte du terrain les bonnes initiatives ». Sans ces « deux niveaux », aucun cadre législatif ne pourra être efficace pour une transformation du modèle économique actuel.
Chacun des deux camps semble donc se renvoyer la faute. Cependant, de nombreux consensus peuvent émerger. Helen Etchanchu, professeure à Montpellier Business School et co-fondatrice de OS4Future, pointe spécifiquement l’apport de l’éducation. Aujourd’hui, « l’envie des étudiants d’être utiles à la société » se fait sentir plus que jamais. Transformer l’enseignement et l'adapter en ce sens - puisque les étudiants sont réceptifs - peut être un moyen d'enclencher l’évolution que nous souhaitons tous.
En 2020, il n’est plus possible d’attendre que les différents acteurs (institutions publiques, entreprises, consommateurs, corps enseignant, étudiants...) se coordonnent dans l'action. Les pouvoirs publics doivent se saisir de l'enjeu écologique en adoptant une démarche volontariste et en y intégrant la société civile.