Revenir au site

Agir à temps, pensons à nos territoires

| Fanny Berrezai, Junior Fellow de l’Institut Open Diplomacy et Marie-Sixte Imbert, Directrice des études et des opérations

12 novembre 2020

Lors de la journée des Rencontres du Développement Durable consacrée au thème “Agir à temps”, Mathilde Gracia, Journaliste à France Info TV a modéré une table ronde intitulée « Agir à temps, pensons à nos territoires » rassemblant Christophe Arend, Député, Co-Président du bureau de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, David Djaïz​, Directeur de la stratégie de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, Isabelle Duvaux-Bechon, Cheffe du bureau des relations avec les Etats membres et des partenariats de l’Agence Spatiale Européenne, Anne-Sophie Louvel, Directrice de la Collecte sélective et des Territoires de Citeo, et Laurence Maillart-Méhaignerie, Députée, Présidente de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire.

Cette année, nous fêtons les 5 ans de l’adoption des Objectifs de Développement Durable (ODD) par les Nations unies. Il reste seulement 10 ans pour atteindre ces 17 objectifs fixés en 2015. L’enjeu est bien d’agir à temps. Mais quel est, en réalité, le meilleur échelon pour mettre en œuvre la transition environnementale : mondial ? régional ? national ? local ?

L’échelon local, clé pour mener à bien la transition environnementale

Pour la députée Laurence Maillart-Méhaignerie, il faut désormais arrimer le développement du territoire aux ODD. Le premier échelon local indispensable pour mettre en œuvre la transition environnementale est le maire ou représentant de la collectivité locale, en relation avec le préfet. Leur dialogue permet la coopération entre différents niveaux de gouvernance, structurante à travers les territoires dès qu’il est question d’enjeux.

Travailler main dans la main permet de développer des politiques publiques adaptées au territoire, et ainsi créer de la valeur ajoutée, notamment en favorisant la circularité de l’économie locale et des ressources. Mobiliser des compétences, des savoir-faire permet de créer des liens économiques, du lien social, la confiance entre acteurs. In fine, cela contribue à revitaliser des territoires mis à mal par la désindustrialisation et délaissés dans la fracture territoriale. L’Agence nationale de Cohésion des Territoires - ANCT notamment joue un rôle de facilitateur pour les métropoles qui rencontrent des difficultés en termes d’accès aux fonds publics, en apportant un soutien pour monter différents appels d’offres.

Face à ces situations territoriales parfois complexes, aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire d’être pédagogue avec les populations. A la fois rassurer face aux craintes, qu’elles soient fondées ou non, et répondre aux attentes des citoyens en termes de développement, d’opportunités, de bien-être. Ce qui implique à la fois de comprendre leurs attentes et d’identifier les demandes exprimées comme celles sous-jacentes, afin d’analyser à cette aune les mesures prévues en termes de mobilité, d’alimentation collective, de rénovation thermique de bâtiments, etc. Redonner toute sa place aux processus démocratiques locaux et aux actions locales, dans un contexte global, peut s’inscrire dans un mouvement de slow démocratie.

La transition écologique, énergétique et le développement durable ne peuvent ainsi devenir réalité sans l’appui et la mobilisation des citoyens. Expérimentations locales portées à une échelle plus globale, processus démocratiques : chaque citoyen, chaque consommateur, chaque travailleur est acteur du changement. Les territoires ont ainsi un rôle capital à jouer, comme premiers bassins de vie et d’action, au-delà de leurs frontières administratives. Car un même département ou territoire administratif peut compter plusieurs bassins de vie, aux écosystèmes et intérêts potentiellement divergents, à mettre en lumière par des indicateurs différents, et a contrario un même bassin de vie peut déborder d’un seul territoire.

Au-delà d’un cadre national commun à tous, il importe pour les pouvoirs publics de savoir s’adapter aux enjeux locaux et rester à l’écoute, à travers une approche bottom-up. Si la volonté politique est réelle et certains outils existent, la France n’est historiquement pas la meilleure élève de l’UE en la matière. Les relations parfois tendues entre échelons politiques et administratifs ne plaident pas toujours en faveur de la co-construction et de l’adaptation aux territoires. La difficulté survient donc bien dans l’entremêlement des niveaux de décision et d’action comme dans celui des compétences.

En France, la structure administrative comprend de nombreuses strates sédimentées depuis longtemps, et les difficultés du dialogue entre elles peuvent compliquer la coopération et allonger les processus de décision. De l’autre côté du Rhin, l’organisation décentralisée allemande, qui repose à la fois sur l’Etat fédéral mais surtout sur les Etats fédérés pour un certain nombre de compétences, permet de faire grandir rapidement des projets concrets. Au risque parfois d’un manque de mise en cohérence globale des politiques publiques.

L’Assemblée parlementaire franco-allemande, créée par un accord parlementaire historique le 11 mars 2019, travaille ainsi à faire de la convergence entre nos deux pays non une simple intention, mais une réalité. Avec comme enjeux premiers le Pacte vert européen, la lutte contre le réchauffement climatique, ou le projet de code commun des affaires.

L’Union européenne peut permettre de donner une force nouvelle à ces projets, comme espace économique durable fondé sur un projet politique. A charge pour chaque acteur politique et administratif de donner vie au continuum public de l’UE à l’échelle locale : prenons l’exemple du recyclage.

Le recyclage et ses défis européens comme locaux

Alors que la collecte de déchets constitue un enjeu sanitaire quotidien majeur, les territoires accompagnent la mise en œuvre de la responsabilité élargie des producteurs en matière d’emballages. Cette dernière concerne en effet toute entreprise qui met sur le marché des produits emballés consommés ou utilisés par les ménages dont les emballages deviennent des déchets d'emballages ménagers. Accompagner les collectivités comprend généralement plusieurs volets tels que favoriser l’éco-conception, le développement des filières de collecte, de tri, et de recyclage : des entreprises comme Citéo s’y attellent.

Principales actrices de la collecte et du traitement - obligatoire - des déchets : les intercommunalités. Ces dernières doivent ainsi mettre en œuvre les directives européennes qui imposent des objectifs de recyclage, avec des exigences de quantité et de qualité. Par exemple, le taux de recyclage à atteindre pour 2022 est de 75 % des emballages. D’ici 2029, 90 % des bouteilles plastiques devront être recyclées au sein de l’Union européenne.

Les collectivités recherchent ainsi le dispositif le plus intéressant en termes de performance, de rentabilité et de gestion des risques à court comme moyen ou long termes, pour atteindre à leur échelle ces objectifs. Au cœur du territoire de Forbach, par exemple, une usine de méthanisation permet de transformer des déchets organiques et verts, précurseure d’un modèle de méthanisation territoriale abouti. Depuis 2011, elle produit du biogaz, du compost et de l’engrais solide et permet d’alimenter des véhicules en carburant, le réseau GRDF en biométhane, et un certain nombre de foyers en électricité et chauffage urbain. Ce projet, l’un des plus anciens systèmes expérimentaux français, a atteint son plein développement et peut donc servir d’exemple à d’autres collectivités.

Alors que les intercommunalités rurales sont souvent mieux équipées que les collectivités urbaines, l’Etat soutient financièrement la modernisation des équipements de collecte et de traitement des déchets. Si l’innovation des techniques doit être laissée aux collectivités, il est nécessaire d’harmoniser les objectifs afin de les rendre plus lisibles, et d’apporter un soutien à la transition pour une collecte plus efficace.

La loi française sur l'économie circulaire de janvier 2020 entend ainsi harmoniser les consignes de tri à travers le territoire national, et prend en compte l'échéance européenne fixée à 2022. Mais le meilleur déchet reste celui qu'on ne produit pas : il faut avant même de produire, songer au réemploi et au recyclage de ce que nous possédons déjà. C’est l’objectif de cette loi qui interdit par exemple la destruction des invendus non-alimentaires des magasins au profit du don aux associations.

De l’espace au local, des solutions face à l’urgence

L’Agence spatiale européenne - ESA compte 22 Etats membres de l’UE qui lui confient le soin de développer des politiques spatiales communes face aux grands défis à venir, et d’explorer la manière dont les futurs programmes spatiaux pourraient permettre de les résoudre. Elle travaille également à valoriser les solutions spatiales existantes pour la résolution des défis actuels, de l’échelle européenne à l’échelle locale.

Pour cela, l’ESA s’adapte à la façon de travailler de chaque Etat, à ses projets et à ses ambitions. L’agence prend également en compte le poids des contributions nationales dans le cadre de son budget. Et si le système peut paraître lourd, il fonctionne. En 2020, le budget de l’ESA est le plus important de son histoire : 6 milliards d’euros. Au niveau local, cela permet de créer des emplois directs comme indirects, contribue au développement des territoires, en matière d’industrie, de science, ou de sécurité.

En outre, toutes les technologies développées pour l’exploration spatiale sont transférables sur Terre, qu’il s’agisse de médecine ou de recyclage de l’eau - à l’image de la station Concordia en Antarctique qui développe un prototype de traitement des eaux usées. Cette structure spatiale, en contribuant à créer une infrastructure globale, parvient à s’ancrer dans le local.

L’ESA a ainsi diffusé un catalogue mondial de projets spatiaux qui répondent à de nombreux défis des ODD à l’échelle locale, ce que souligne Isabelle Duvaux-Bechon, cheffe du bureau des relations avec les Etats membres et des partenariats de l’ESA. Ce catalogue est ouvert à tous les acteurs, dont les collectivités locales.

Agir à temps est un formidable défi, caractérisé par l’urgence, la complexité des organisations territoriales et administratives, les particularismes et par le manque d’accès aux solutions technologiques pourtant déjà existantes, telles que celles développées pour l’espace. Partage de l’information, priorisation et développement de moyens budgétaires sont clés pour permettre aux échelons locaux de se saisir de ces solutions. La transition écologique ne se fera pas sans les territoires, fers de lance d’une transition réelle, vécue et portée au quotidien par les citoyens dans toutes les facettes de leurs activités.