Revenir au site

Partager la Terre : respecter tout le vivant et s’émerveiller

Juliette Kirscher-Luciani

13 octobre 2020

Lors de la journée consacrée au thème “Partager la Terre” des Rencontres du Développement Durable, Virginie Salmen, journaliste d’Europe, 1 a modéré une table-ronde intitulée « Partager la Terre, respectons tout le vivant » qui a rassemblé Danielle Castagnoni, Professeure à KEDGE Business School, Yann Laurans, Directeur du programme « Biodiversité et écosystèmes » de l'IDDRI, Frédéric Le Manach, Directeur scientifique de Bloom, Céline Soubranne, Directrice de la RSE d’Axa, et Frédérique Tuffnell, Députée, Présidente du groupe d’étude de l’Assemblée nationale sur l’eau et la biodiversité

La « sobriété » a le vent en poupe : nouvel idéal, loin de l’opulence et du superfétatoire, il est l’apanage de ceux qui désirent changer radicalement de style de vie, au travail comme à la maison. Nouveau modèle culturel ou luxe que se paient les plus aisés ? Comment faire de ce mot une réalité universelle ? Pour ne pas s’enfermer dans un système de signes destiné à une frange initiée de la société, pour ne pas faire du « langage du développement durable » un habillage de circonstance, pour ne pas être victime d’un effet de mode, il faut appeler la conscience collective à un éveil général bien au-delà des frontières territoriales, individuelles et humaines.

La sobriété n’est-elle pas l’autre nom d’une justice qui consiste à faire valoir les ressources que la nature met gratuitement à la disposition de l’écosystème humain ? Être sobre, c’est aussi quitter l’ivresse de masse dans laquelle nous plongent la société de sur-consommation et son tourbillon médiatique. Être sobre, c’est faire qu’un jeune occidental sache identifier plus de feuilles d’arbres que de logos de marques.

Il ne s’agit pas d’un problème générationnel. Comme l’affirme Danielle Castagnoni, Professeure à KEDGE Business School, devant la transition à venir, toutes les générations sont concernées : comment éveiller et être éveillé à l’importance de protéger la biodiversité ?

Biodiversité et climat : agir, c’est ne plus choisir

On ne peut que percevoir les signes du réchauffement climatique quand les catastrophes naturelles s’enchaînent et succèdent aux pandémies sanitaires. Devant l’effondrement de la biodiversité, pourtant tangible, « peut-être que nous ne percevons pas de changements radicaux au regard de notre situation matérielle d’occidentaux riches, mais cela va nous tomber dessus dans un moment pour l’instant difficile à prédire » nous prévient Yann Laurans, Directeur du programme « Biodiversité et écosystèmes » de l'IDDRI.

Face à l’urgence, d’aucuns répondront qu'il faut cesser de prioriser les dangers auxquels nous exposons notre planète ainsi que l’ensemble des espèces qui y cohabitent. Frédérique Tuffnell, Députée, Présidente du groupe d’étude de l’Assemblée nationale sur l’eau et la biodiversité rappelle le constat alarmant selon lequel sur huit millions d'espèces animales, plus d'un million d'entre elles sont en voie d'extinction.

Dans de nombreux rapports d’études environnementales, nous avons pris l’habitude de mettre en avant les divergences. Ainsi nous parlons volontiers de problèmes locaux, de particularismes régionaux, d’une grande variété d’impacts, de différents environnements avec différents enjeux et différentes populations. En réalité, le constat est le même partout ; à la fois sur l’espace terrestre et maritime : l’effondrement de la biodiversité nous intime de modifier radicalement notre comportement. C’est donc cette cause commune et universelle qu’il s’agit de faire prévaloir, au même titre que celle du climat. Agir pour la transition et le développement durable, c’est ne plus choisir entre une cause et l’autre.

Frédéric Le Manach, Directeur scientifique de Bloom, nous invite à repenser notre rapport à l’alimentation issue du milieu marin, à l’heure où 20% de la pêche est réduit en farine et protéine de seconde génération chaque année et où près de 70% des poissons présentés sur un étal de supermarché termine à la poubelle. Outre le fait de décrier l’absence de responsabilité à l’égard des pays en voie de développement, ne faut-il pas aussi s’alarmer d’une uniformisation du mode de sur-consommation et assumer d’en être le « mauvais modèle ».

Les parties prenantes le savent, jusqu’aux entreprises « non polluantes », la biodiversité revêt une importance économique primordiale. Céline Soubranne, Directrice de la RSE d’AXA, rappelle à juste titre le rôle que les entreprises ont à jouer dans la lutte pour le respect de la biodiversité.

La biodiversité au cœur du nouveau modèle économique

Les villes de Dunkerque et de Boulogne-sur-mer sont devenues deux cimetières marins désertés par l’artisanat et la pêche locale. Et pour cause, depuis que le géant industriel de la pêche au filet électrique explose les scores de rendement, l’économie de la pêche artisanale s’est effondrée. Frédéric Le Manach attire notre regard sur ces pratiques qui ne sont pas plus profitables à l’écologie qu’à l’économie. Relancer l’artisanat local, valoriser une approche territoriale ; pourquoi ces actions à impact positif tardent-elles à se mettre en place ?

La prise de conscience collective est encore loin d’aboutir à un consensus quand il s’agit d’enjeux socio-économiques. Frédérique Tuffnell présente le sujet délicat de la réintroduction des néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques, dans les sols, qui occupe actuellement tout l’agenda la Commission du développement durable. On a bien à faire à un consensus scientifique peu commun : nul ne peut ignorer la toxicité de ces insecticides sur la betterave, leur solvabilité dans l’eau, leur persistance dans le sol, leur toxicité pour les abeilles et les plantes. Sans oublier leur puissance de contamination évidemment : les cultures environnantes sont également contaminées pour plusieurs années. En face, on estime une perte d’environ 46 000 emplois et le recours à l’importation du sucre pour un secteur de production qui jusque-là, avait su s’en passer.

S’émerveiller

Dans cette nouvelle économie du « risque », l’entreprise a son rôle à jouer. Céline Soubranne réaffirme l’importance de la prévention et de l’évaluation des risques. « La nature travaille pour nous » et il s’agit de redonner sa valeur au « capital naturel ». Céline Soubranne souligne l’importance de la dimension collective de cette revalorisation : s’y tenir tout en étant exemplaire afin d’amener le secteur entier avec soi. Cette avancée se fonde sur deux principales actions : la convergence vers une forme de transparence et l’alignement des fonds sur les projets verts.

Si le changement commence par la création collective d’un “nouveau langage”, c’est qu’il manque un système en lequel les citoyens croient, en lequel les valeurs sont partagées. Bref, le changement de paradigme est plus qu’on ne le pense une véritable évolution « culturelle ». Plutôt que de changer de langage, Danielle Castagnoni insiste sur la nécessité de changer de récit pour les générations futures. S’il n’est jamais trop tard pour « reforester » ou « emmariner » la jeune génération, il faut réussir à « raconter autre chose », selon ses mots. Et pour cause, il ne s’agit pas d’infuser un discours mais de retrouver un rapport à la nature.

Cette quête est loin d’être une cause perdue, et le confinement nous l’a montré : quand les Hommes désertent les villes, que la nature et les animaux sauvages reprennent leurs droits, l’émerveillement peut, à nouveau, se lire dans les yeux de chacun.