Lors de la journée consacrée au thème “Partager la Terre” des Rencontres du Développement Durable s’est tenue une Masterclass durant laquelle Youba Sokona, vice-président du GIEC a mis en lumière les similarités et les différences majeures entre la crise climatique et la crise sanitaire ; et a lancé un appel à l’optimisme et à l’action.
La crise de la Covid-19 qui frappe l’humanité entière sonne aujourd’hui comme un avertissement fait à un monde en plein questionnement. Bouleversements climatiques, déclin de la biodiversité, pandémie… Quel avenir pour quelles sociétés ?
Youba Sokona, vice-président du Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat - GIEC et personnalité publique engagée sur le changement climatique et sur ses conséquences pour les pays du Sud, met en lumière les similitudes entre la crise sanitaire et les crises du climat et de la biodiversité à venir, ainsi que les spécificités de chacune.
Covid-19 et réchauffement climatique : deux crises liées aux conséquences différentes
La crise du coronavirus, initialement de nature sanitaire, diffère de la crise climatique sur le plan temporel : la crise de la Covid-19 nous apparaît a priori comme une période transitoire, que des gestes barrières et des progrès médicaux nous permettront de laisser derrière nous. A l’inverse, la crise du climat et de la biodiversité, par son ampleur et par les changements radicaux et durables qu’elle impose, est devenue une problématique de très long terme.
Aussi, la crise sanitaire connaîtra, à terme, une réponse médicale applicable partout à travers le monde : du développement d’un vaccin, au port du masque, le combat contre cette maladie se caractérisera, in fine, par les mêmes gestes. En revanche, l’expression de la crise climatique diffère à travers le monde, selon des critères bien distincts comme la situation géographique d’un pays par exemple. Les conséquences du dérèglement climatique - montée du niveau des océans, transformation des écosystèmes, multiplication des catastrophes naturelles par exemple - ne mènent pas à une réalité commune, et frappent les territoires très inégalement.
Ces deux crises ne s'expriment donc pas de la même façon d’un point de vue temporel - la crise climatique étant une problématique de très long terme - dans la manière dont elles frappent les territoires et dans la manière dont elles sont et seront traitées. Mais ces deux phénomènes entretiennent néanmoins un lien de parentalité fort.
Crise sanitaire et climatique : de l’importance de la science
Tout d’abord, ces deux phénomènes frappent nos sociétés dans tous leurs aspects, et remettent en cause la manière dont nous concevons notre développement économique, nos liens sociaux, la place et le fonctionnement des pouvoirs publics. Ces deux crises font émerger sur la place publique l’importance de la science, de sa démocratisation et de sa diffusion.
Le GIEC répond parfaitement à cette mission, grâce à son rôle consultatif : une de ses missions consiste à analyser et évaluer la véracité des publications sur les sujets relatifs au climat et à la biodiversité. D’ailleurs, Youba Sokona souligne qu’au cours de ces dernières décennies, la quantité de publications d’articles scientifiques relatifs au dérèglement climatique et au rôle de l’activité humaine sur la dégradations des écosystèmes a fortement augmenté. Le travail du GIEC apparaît d’autant plus nécessaire. Le Groupe d’experts a d’ailleurs été récompensé, en 2007 par l’obtention du Prix Nobel de la Paix, aux côtés d’Al Gore, pour leurs efforts autour de la diffusion des enjeux du changement climatique causé par l’Homme, et de sa meilleure compréhension.
Les derniers travaux du GIEC contribue à la meilleure compréhension des écosystèmes terrestres et marins et la tension qu’ils subissent. D’une part les océans, à l’image des pôles et des environnements de hautes montagnes qui assurent la captation des gaz à effet de serre et de la chaleur de notre planète ne parviennent plus à suivre l'emballement des émissions. Cela entraîne la hausse du niveau des océans, l’acidification de l’eau et la destruction des écosystèmes aquatiques, conséquences lourdes pour notre planète décrites dans le rapport du GIEC de septembre 2019. D’autre part, la croissance démographique et les activités humaines comme l’agriculture, l’industrie et les transports entraînent une surutilisation des terres et de l’eau douce, une déforestation massive et un épuisement des ressources. Ces modifications de l’environnement ont déjà, et auront plus encore dans les années à venir, de graves conséquences : en 2020, plus de 500 millions de personnes vivent dans des zones risquant la désertification à cause de l’appauvrissement des sols, et 821 millions de personnes risquent de souffrir de sous-alimentation... Les écosystèmes terrestres comme marins sont notre bien commun. Ce rappel vibrant de l’importance des communs résonne ardemment dans cette période de pandémie qui nous unit dans un destin commun.
Les publications du GIEC représentent une source majeure de savoir qui nous permet aujourd’hui, alors que nous entrons dans la décennie de l’action, de mieux saisir l’urgence de la situation. Les avancées et découvertes scientifiques sont notre meilleur moyen de comprendre les effets néfastes des crises climatique et sanitaire afin de lutter efficacement contre elles. En ce sens, la science peut être vue comme une véritable boussole pour les décideurs publics du monde entier.
Face aux crises : rester optimiste, et surtout agir
Youba Sokona nous appelle cependant à l’optimisme et à l’action. En effet, le travail du GIEC des dernières décennies a permis de mieux appréhender les problématiques climatiques, d’en avoir une meilleure compréhension, et d’esquisser les solutions. Limiter le réchauffement de la planète à 1.5 degrés comme prévu par l’Accord de Paris de 2015 est encore possible. Pour pallier ce problème global, le vice président du GIEC recommande une approche holistique et offre pour cela plusieurs pistes.
La première est la prise de conscience autour de l’urgence : le réchauffement climatique affecte déjà l’ensemble de l’humanité. Chaque année compte.
La deuxième piste s’illustre à travers le développement d’une vraie collaboration entre les différents niveaux d’action. A ce titre, les collectivités territoriales doivent s’engager et être intégrées dans le processus de transition. Selon Focus 2030, 45 % des Français souhaitent voir augmenter le budget de ces collectivités pour lutter contre le réchauffement climatique. Cet engouement des Français se retrouve également à l’échelle internationale. Selon OpinionWay, 72 % d’entre eux souhaitent qu’une organisation internationale du développement durable soit créée. La mise en œuvre d’une transition juste et durable doit être une aspiration commune de long terme, où toutes les parties du monde ont une place à occuper et un rôle à jouer.
Pour finir, Youba Sokona appelle à la transformation radicale des comportements individuels et collectifs. Il souligne le fait que la crise de la Covid-19 a permis la mobilisation et la mise en œuvre d’une solidarité locale au sein des communautés, en permettant l’approvisionnement en denrées des personnes âgées confinées, par exemple. Cette solidarité a permis, au moins un temps, de faire revivre les circuits courts, et a permis la régionalisation de chaîne de production et de valeurs. Nous avons également revu notre rapport au territoire, des villes aux campagnes, et à nos voisins.
Ainsi, tous les éléments pour agir sont, en 2020, à notre disposition, des preuves scientifiques à la mobilisation des populations. Le retour “à la normale” post-pandémie ne peut plus être une occasion manquée supplémentaire ; il est temps d’agir et de transformer nos sociétés pour qu’elles deviennent plus justes et plus durables.